Chasse du 31 Août 2011
Chaque été, il faut qu’il y ait au moins une chasse parfaitement surprise, c’est ainsi, c’est un fait statistique que je peux vérifier sur mes huit dernières saisons d’activité. Comme nous arrivions déjà fin août et que je n’avais pas encore confirmé cet adage, j’ai choisi ce 31 Août de ne pas prévoir d’aller chasser. Alors certes, si je souhaitais me montrer parfaitement honnête, je devrais plutôt dire qu’accaparé par des projets divers et variés, je n’ai pas su honorer mon statut auto-attribué de chasseur d’orages en omettant de jeter un oeil aux prévisions météo du jour. Assez convaincu de ne pas avoir à me soucier du ciel en cette belle journée, je partais donc confiant vaquer à de lointaines occupations, sans ma voiture, et sans m’emparer de mon appareil photo sous le bras. Deuxième erreur grave (à la troisième, je m’auto-destitue du titre de chasseur d’orages, promis)!
C’est quelques heures plus tard que l’appel téléphonique d’un de mes collègues me met la puce à l’oreille, alors qu’il m’annonce partir en chasse vers le Massif Central. Une mini puce seulement. Mais par acquit de conscience, j’entreprends de me détacher de mon contexte social au moyen des subterfuges habituels afin de consulter les derniers modèles de prévisions météorologiques sur mon téléphone. J’y découvre qu’il existe en effet un risque orageux majoritairement orographique (« orages de montagne ») sur le Massif Central mais que l’activité est prévue de se cantonner assez loin à l’Ouest. Je reprends le cours de ma vie normale, sans m’inquiéter outre mesure de ce qui pourrait se passer par la suite…
Je travaille cet après-midi là sur un tournage de film en extérieur et il fait chaud. Lourd même. Le voile nuageux qui vient de cacher le soleil ne rafraîchit pas l’atmosphère. N’importe quel quidam aura senti dans cette ambiance les indices d’une future offensive orageuse. Le problème étant que, promu de mon statut de quidam à chasseur d’orages il y a quelques années, j’ai appris à me méfier de ces signes parfois trop évidents, sources de nombreuses déceptions. Ce jour là, il m’aura fallu du temps, beaucoup de temps, avant de commencer à me préoccuper de ces gros orages qui se sont en effet formés sur le Puy-de-Dôme et qui se décalent lentement vers l’Est sans perdre en vigueur.
Ce n’est que lorsque mon tournage se termine et que je rejoins mon cher appartement (trop cher oui!) que je prends immédiatement conscience sur mon écran du potentiel de ces orages. Il apparaît que la situation dégénère largement plus que prévu et j’ai déjà beaucoup de retard pour me positionner correctement. Tel une violente bourrasque, je cours vers la porte de sortie en attrapant au passage le matériel adéquat et n’ait pas le temps de faire la moindre vérification. Ai-je bien pris mes cartes mémoires? Ai-je suffisamment rechargé les batteries? Ai-je bien la semelle de mon trépied (ce petit machin vous manque, et tout est dépeuplé!)?
Pas vraiment le temps de se confondre en questionnements, je grimpe dans la voiture, increvable accompagnatrice de mes chasses les plus intenses, et roule vers l’ouest, plein d’entrain.
Quel optimisme j’avais là, en pensant naïvement que j’allais quitter Lyon rapidement pour me retrouver sur mes points de vue favoris à l’ouest de la ville ! Même à 19h passé, les rues de l’agglomération sont très encombrées et je me retrouve dans des embouteillages monstres. Immobilisé, et avec pour seul horizon une tripotée de feux tricolores passant inlassablement du rouge au vert et du vert au rouge sans que la file de voitures ne se meuve, j’en viens à perdre soudainement l’enthousiasme qui s’était insinué en moi. A défaut d’un tête à tête avec l’orage, j’avais gagné un cul à cul entre une twingo et une panda…
Pourtant, toutes vitres ouvertes, la chaleur est toujours forte et moite. A se demander s’il ne va pas finalement se passer quelque chose au dessus de Lyon, telle une punition suite à mon manque d’intérêt des heures passées. Car oui, vivre un orage en étant bloqué en ville dans sa voiture est un cauchemar! Je ne chasse pas l’orage pour voir déborder des caniveaux. Je chasse l’orage pour voir la foudre s’abattre sur la plaine (« de la bretagne armoricaine »?). Ne m’avouant pas vaincu, je ne baisse pas les armes et après de longues minutes d’asphyxie sous le tunnel de Fourvière, me voici enfin libéré du traffic. Il m’aura fallu une heure pour quitter la ville. Les Monts du Lyonnais se dessinent devant moi, se détachant d’un ciel gris foncé à l’allure fortement instable. Je conduis vers un promontoire situé en bordure nord de ces collines, espérant assister à une réactivation des orages maintenant que le jour décline. Au dessus de moi pendent des virga et un timide rideau de pluie semble apparaître plus loin vers l’Ouest. Même si j’ai pu apercevoir de lointains flashs un peu plus tôt, le calme est de mise quand j’accède au point de vue de Sourcieux-les-Mines et que je descend de la voiture pour respirer l’air en présence. Un peu comme si mon odorat allait donner des réponses quant au potentiel orageux. C’est toutefois plutôt la vue de ce mince rideau de pluie qui aurait du m’alerter et m’aurais permis d’anticiper le puissant coup de foudre qui s’abat soudainement devant moi, à moins d’un kilomètre. L’impact est tombé dans la vallée, juste en face, provoquant un court-circuit au loin et une sensation d’électricité dans mes cheveux simultanément. C’est la deuxième fois cette année, et deuxième fois en huit ans que je ressens un coup de foudre jusque dans ma tignasse. Un phénomène à la fois suffisamment rare mais suffisamment inquiétant pour rappeler que l’orage est dangereux…
Quelque peu effrayé par ce qui vient de se passer, je regagne l’habitacle et installe mon appareil photo dans l’espoir de voir un autre éclair se présenter de façon aussi proche et esthétique. Le résultat est ci-dessous.
C’est bien malheureux mais le seul coup de foudre que je capte s’abat très loin, vers le Sud-Ouest. L’averse au dessus de moi ne daignera donner que deux ou trois éclairs internuageux difficiles à attraper, avant de mourir (l’averse, pas moi !). Mais si je garde quand même un oeil vers cet horizon lointain, c’est que je viens d’y voir un autre coup de foudre… puis encore un autre ! En quelques minutes, des orages particulièrement électriques s’activent sur la région de Saint-Etienne et commencent à se déplacer en flux d’ouest-sud-ouest. Mince, je suis trop au Nord! Il faut vite prendre une décision sur la route à emprunter pour rejoindre ces cellules dont la durée de vie ne fait cette fois plus aucun doute. Le ciel s’illumine toutes les cinq secondes, c’est du solide!
Je pouvais soit prendre la direction de Saint-Etienne, avec comme risque d’arriver trop tard et de me trouver à l’arrière de l’orage, soit repasser par Lyon pour prendre l’autoroute et descendre dans la Vallée du Rhône, soit, enfin, partir littéralement vers le Sud en arpentant les routes sinueuses des Monts du Lyonnais. Je choisirai d’ailleurs cette dernière solution, de peur d’être de nouveau confronté aux ralentissements urbains.
Sans vraiment le savoir, je pars pour une heure de galère sur des routes inconnues et torturées. Une heure à ne me rapprocher que trop lentement d’orages toujours aussi intenses et qui s’étendent. La nuit est tombée très vite. Me voici en warning, à une intersection, au milieu d’une forêt, à tenter de retrouver ma carte Michelin bringuebalée par des routes chaotiques et une conduite déraisonnable. Ce sont des terrains que je n’ai encore jamais expérimenté et il me faut trouver absolument un point de vue confortable vers le Sud. Le plan ne m’est pas d’une aide formidable et je décide donc de reprendre ma course contre la montre en direction des flashs orageux. Je roule « au feeling » en tentant de rester au maximum sur les lignes de crête ou sur les épaules des plus hauts sommets. Maintenant que les coups de foudre se font largement visibles et que les premières gouttes d’eau commencent à cliqueter sur la carrosserie, l’impatience devient immense. Je dois ABSOLUMENT trouver un endroit où poser mon appareil photo dans les prochaine minutes !
La route contourne une colline, et BOUM! Un superbe coup de foudre m’illumine un paysage dégagé sur des kilomètres. Manque de chance, je suis sur une départementale assez passagère et nulle part où s’installer confortablement. Qu’à celà ne tienne, me voici à nouveau en « warning » sur le bord de la route, gardant mes phares allumés pour rester visible, et je ne perds pas une seconde pour percher mon appareil photo sur son système de fixation au dessus de mon siège passager. Je coupe le moteur afin d’éviter les vibrations. J’ouvre la vitre et tente immédiatement une première pose. Voici de quoi seront faites mes 60 premières secondes à cet endroit :
Le foudroiement est conséquent comme vous l’aurez remarqué. Une ligne d’orages est maintenant formée depuis Saint-Etienne et jusqu’à Vienne, dans l’Isère. Elle défile devant moi et me laisse espérer de futurs impacts très proches. Toutefois les pluies sont assez intenses et la plupart des éclairs sont un peu noyés et trop lointains pour s’avérer intéressant sur le capteur. Les minutes passent, sont longues, et malgré le mitraillage de la nature, je ne parviens pas à réaliser des clichés satisfaisants. Celà fait bien 25 minutes que je suis arrêté sur le bord de la route, à grincer des dents dès qu’un coup de foudre s’abat hors de mon cadre ou bien ne convient pas à mes réglages. De quoi en oublier que la voiture, aussi infaillible soit-elle, ne se nourrit pas comme moi de ce déchaînement kéraunique. Ce ne sont plus uniquement les feux de détresse qui clignotent mais toute la voiture qui clignote de détresse, avant de s’éteindre dans un dernier semblant de soupir.
Oups. *grondement de tonnerre*
J’ai conscience que ce récit enthousiasmera à n’en pas douter les quelques gens qui ont pu me faire – certains même quelques jours auparavant – des remarques quant à mon utilisation abusive de la batterie de mon véhicule. Leurs moqueries seront acceptées et légitimes.
Résumons la situation : au niveau du ciel, rien de nouveau. La ligne d’orages se réactive constamment par le Sud-Ouest en m’abreuvant de coups de foudre tout neufs. Cela étant, la pluie s’intensifie nettement maintenant, commençant à inonder l’intérieur de mon véhicule. Le fait est que je n’ai plus de batterie pour actionner la vitre éléctrique vers le haut. Je suis plus ou moins stationné au milieu d’une route mais il me reste heureusement l’usage des feux de détresse dont le tic-tac répétitif se veut désormais plus rassurant qu’énervant. Gardant tout mon sang froid, je décide de procrastiner la gestion de crise et de me concentrer en priorité sur l’horizon. Chaque chose en son temps ! Bien m’en a pris car enfin, un impact esthétique se montre plus coopératif :
Pas aussi intense que ce que j’aurais pu espérer, mais au vu de la difficulté de la situation actuelle, je saurais m’en contenter.
Bon, il est temps de consulter sur mon téléphone les dernières images radar afin de savoir au moins précisément comment se présente la situation à grande échelle. Ah, tiens ! Plus de batterie non plus sur le téléphone ! Je le recharge habituellement grâce à un câble branché sur l’allume-cigare, mais vous conviendrez que je vais en avoir bien du mal à ce moment. Il semblerait que je prenne un malin plaisir à accumuler les handicaps ce soir et dans ma tête la chasse est déjà terminée. Là ou j’envisageais peut-être, sans me l’avouer, d’utiliser le joker « coup de fil à un ami » pour me sortir d’un tel pétrin à 23h, il ne me restait plus maintenant qu’à passer en revue les autres possibilités (et les amis de pousser un « ouf » de soulagement). Parmi elles, quelques options me faisaient passer la nuit ici, toute vitre ouverte, pneumonie à la clé. D’autres impliquaient le fait de demander l’aide à des autochtones ou a des voyageurs en transit sur cette départementale. Mais je ne pouvais pas abandonner mon navire en pleine tempête, et j’imagine que quand bien même je me serais baladé avec mon joli gilet jaune (petit jeu : essayez de répéter ces trois derniers mots très vite) peu d’automobilistes auraient eu le courage d’affronter ce petit homme fluo sorti des fourrés (de quoi devenir le héros de légendes paranormales?). Malgré le bruit des « warnings », de la pluie, du tonnerre… je n’entendais que silence et solitude lors de ces quelques minutes de questionnement.
Au fait, ça marche vraiment le coup du démarrage de voiture en descente? Je voyais bien que la route partait en pente un peu plus loin et commençait à soupeser cette éventualité. D’autant qu’à 23h révolus, la circulation n’était définitivement plus dense sur cette route escarpée. De quoi se remémorer avec nostalgie les instants privilégiés passés quelques temps plus tôt en compagnie de Twingo et autres Fiat Panda.
J’en arrivais à la conclusion que « ouais, ça serait trop con de ne pas tenter le coup ». Je suis encore assez jeune pour me permettre quelques folies tranchant avec mon habituel caractère raisonnable.
Je décide de prendre mon k-way à deux mains et de… ah non, zut, j’ai également oublié d’emporter une veste quelconque en quittant rapidement mon appart’… Alors tant pis, j’enlève le frein à main, sort de la voiture, commence à pousser la bestiole vers la pente et prend au passage une douche avec ma petite chemise du jour. J’atteins maintenant une descente suffisamment franche pour sentir la voiture entraînée toute seule, et j’en profite pour grimper à nouveau au volant (l’inverse eut été particulièrement idiot). Me voici donc en roue libre, sans phares, sans essuie-glaces, sans freins, et avec pour seul aide la lumière blafarde, orange et intermittente de mes feux de détresse pour déterminer plus ou moins précisément ce qui m’attend quelques mètres en aval. Sans pouvoir consulter la carte avant de me lancer, je préférais croire qu’il n’y aurait pas d’épingle fatale sur ma route et d’écharde dans mon plan. Cela ne m’empêchait pas de garder la main serrée sur le frein du même nom lors des premiers mètres, un peu comme on garde son pouce près de la commande du siège éjectable en situation de vol délicate (ai-je travaillé dans l’armée de l’air dans une vie précédente?). Le bolide prend de la vitesse, dans un silence parfaitement incongru. C’est bien simple, je me sens comme dans une caisse à savon. Moi qui n’avait jamais eu l’opportunité d’en construire une, ce manque était en partie comblé.
Après une dernière inspiration, je décide de tenter ma chance. J’enclenche la seconde, tourne fébrilement la clé dans sa serrure : la Yaris démarre en douceur, avec une facilité désinvolte. En quelques toutes petites secondes, la lumière revient, le répondant de l’accélérateur aussi, et je suis « back in business » comme si de rien n’était ! A peine le temps de me remettre de ces émotions et de m’auto-congratuler que j’aperçois de nouveaux coups de foudre particulièrement lumineux à mon Sud. Il apparaît que dans mon malheur (dont je n’oublie pas être le seul responsable) j’en suis venu à prendre la décision de bouger au bon moment, pour me trouver au plus près de la trajectoire de cet orage semblant encore particulièrement virulent. Le problème c’est qu’il pleut toujours de façon assez appuyée, et que je perds de précieuses minutes à me trouver un nouvel angle de vue satisfaisant. La zone de foudroiement se rapproche à vitesse grand V, et je fais le choix de me contenter d’un endroit partiellement encombré de lignes électriques pour installer mon appareil sous la pluie et le protéger tant bien que mal à l’aide de mon corps qui lui, n’est plus à ça près. Juste à temps pour choper un coup de foudre bifide relativement proche (1km estimé) qui fait toujours un peu bizarre quand on est à l’extérieur.
D’ailleurs, le contexte devient un peu trop extrême et je ne peux plus empêcher mon objectif photo de se faire rincer. Je regagne au pas de course la voiture et me déplace de quelques hectomètres pour investir un abri-bus, dans l’espoir de capturer un impact TRES proche. La pluie est diluvienne et les rafales très fortes. Des conditions pas idéales pour photographier. Ca rend des trucs tout flous comme ci-dessous (histoire de vous donner un aperçu de l’ambiance).
Les impacts proches sont bel et bien là. L’un d’entre eux s’abat derrière une maison à moins de 300m. Je prends une sacré décharge… d’adrénaline. Au final, je vis l’un de mes orages les plus intenses de la saison française et j’en profite amplement bien qu’étant un peu (trop) exposé au danger. La cellule se déplace par la suite assez rapidement vers l’Est et toute ma bonne volonté ne suffira pas à réaliser d’autres clichés au dos de l’orage.
Gardant en tête qu’il s’agissait là d’une chasse parfaitement surprise, et en dépit d’une moisson de photo somme toute faiblarde, je ne pouvais que me dire satisfait de ma soirée. Je pourrais même me montrer reconnaissant quant à mon destin malgré toutes les erreurs que j’ai pu accumuler en ce dernier jour de l’été météorologique. A ma décharge, je rappellerai quand même que si vous êtes arrivés aussi loin dans le récit, c’est que vous avez pris plaisir à vous moquer de mes déboires. Alors comme le plaisir de mes lecteurs est aussi mon plaisir, il est temps de révéler que tout ceci était en fait soigneusement orchestré et scénarisé ! Hum… on se rassure comme on peut !
Leave a reply